La reconnaissance de l’Etat français

Portrait de Pasteur, Salon de 1886
Album de photographies des oeuvres achetées par l’Etat intitulé, Salon de 1886. Photographié par G. Michelez. Base Archim.

Lorsqu’à la faveur d’un portrait, Albert Edelfelt se retrouve couvert d’hommages et de distinctions, ce n’est pas seulement le peintre qui se voit célébré, mais toute la Finlande qui est éblouie par sa gloire. Et pourtant, hors des pays nordiques, bien peu seraient capables de donner le nom de l’auteur du célèbre portrait de Louis Pasteur ; bien peu savent aujourd’hui qu’il s’agit d’un peintre finlandais

La raison en incombe à la célébrité de Louis Pasteur, qui suscite une situation exceptionnelle. Albert Edelfelt, qui a le triomphe modeste, ne manque pas de lui attribuer l’incomparable distinction qui lui a été remise : la Légion d’honneur.

Monsieur Mollard vient de me faire remettre la croix et le brevet de la Légion d’honneur. Ces insignes ayant été égarés depuis quelques mois, je n’ai osé croire à une si grande distinction avant d’en posséder la preuve palpable. Je n’ignore pas que je la dois surtout à votre puissante recommandation, et je ne puis assez vous remercier de cette nouvelle marque d’une bienveillance que vous m’avez témoignée tant de fois, et dont je suis si peu digne.
Veuillez donc recevoir la faible expression de ma gratitude profonde…

Albert Edelfelt à Louis Pasteur, Paris, 6.12.1886. Correspondance de Louis Pasteur, Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits.

La notoriété de Louis Pasteur lui vaut un honneur auquel les artistes étrangers ne peuvent prétendre : le portrait de Louis Pasteur, acquis par L’État français, doit être exposé au musée du Luxembourg, consacré aux artistes vivants français.

Ce prestigieux signe de reconnaissance miroite devant les yeux d’Albert Edelfelt dès le début des tractations engagées par L’État français pour l’achat du tableau  (11.5.1886). Il est en effet de tradition d’exposer les nouvelles acquisitions du Salon au musée du Luxembourg, afin de mettre en valeur la peinture nationale. Un obstacle empêche cependant la réalisation de ce rêve : Albert Edelfelt apprend qu’il est impossible d’exposer le portrait d’une personne vivante sur les cimaises du Luxembourg. Le portrait de Pasteur se retrouve alors exposé à l’université de la Sorbonne, et Edelfelt en ressent une amère déception (22.12.1886).

En 1888, l’envoi du portrait de Pasteur à l’Exposition nordique de Copenhague bute une nouvelle fois sur la question de la nationalité. Les organisateurs danois de l’exposition insistent pour présenter le portrait dans la section nordique, en raison de l’origine finlandaise du peintre. L’État français acceptent de prêter le tableau à la condition qu’il figure parmi les peintures françaises, sans quoi il refuse de prendre en charge les frais de transport.

Les hésitations d’Albert Edelfelt sont révélatrices de sa position : il souhaiterait présenter le tableau qui a fait couler tellement d’encre dans les pays nordiques, mais préfère figurer aux côtés des peintres français plutôt que de peintres danois, avec lesquels il ne se sent aucune affinité (11.4.1888).

L’année suivante, l’État français lui décerne une médaille d’honneur à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, que l’artiste octroie une fois encore au succès du portrait de Pasteur.

Vous savez que j’ai reçu une médaille d’honneur, grâce au portrait de Monsieur Pasteur ? Mes compatriotes, les étudiants finlandais, qui ont assisté à l’inauguration de la Sorbonne m’ont raconté que M. Pasteur avait eu l’insigne bonté de leur parler de moi. L’amitié qu’il m’a toujours témoigné sera mon grand titre de gloire.

Albert Edelfelt à Jean-Baptiste Pasteur, 1.10.1889, citée par Gwenaëlle Bauvois, p.380.

En 1903, Albert Edelfelt espère toujours voir son tableau accroché au musée du Luxembourg, d’autant que Louis Pasteur est décédé depuis 1895. L’année suivante, Jean-Baptiste Pasteur, diplomate et fils du scientifique, tente de négocier auprès de Léonce Bénédite, directeur du musée du Luxembourg, l’introduction exceptionnelle d’une peinture étrangère parmi les peintures françaises.

Je dois faire une répétition du portrait de Pasteur à Paris. On m’a enfin promis de mettre l’original au Luxembourg, – une justice tardive !

Albert Edelfelt à Henri Amic, Florence, 28.4.1903, Henri Amic, p. 162.

Vu le personnage représenté et la signature du peintre qui a fait la plus grande partie de ses oeuvres à Paris, on casera votre tableau à demeure parmi les toiles françaises. 

Jean-Baptiste Pasteur à Albert Edelfelt, 12.3.1904. Legs Jacqueline Vallery-Radot, Gwenaëlle Bauvois, p. 365.

Malgré les promesses réitérées, le portrait de Louis Pasteur ne fut accroché au musée du Luxembourg qu’en 1922-1923, avant de rejoindre la peinture étrangère dans la galerie du Jeu de Paume.

Aujourd’hui encore, l’importance historique de Louis Pasteur efface le nom et l’origine de l’auteur de son portrait. Il semblerait que pour Albert Edelfelt, son assimilation à un peintre français, loin d’être une offense, aurait été une marque de reconnaissance de son talent et de sa carrière, si profondément inscrits dans le milieu parisien.

Laura Gutman

SOURCES

Correspondance d’Albert Edelfelt :

  • publiée par la Société de littérature suédophone de Finlande http://edelfelt.sls.fi/
  • citée par Henri Amic, Jours passés…, Paris, Société d’éditions littéraires et artistiques, Deuxième édition, 1908. –
  • citée par Gwenaëlle Bauvois, Le Pinceau et la Médaille. Les réseaux coopératifs d’Albert Edelfelt dans le champ artistique français 1874-1905, Joensuu University Press, 2007.
  • conservée par la Bibliothèque nationale de France